L’Usine Nouvelle : Le plan d’EDF pour construire de nouveaux EPR en France

Aurélie Barbaux PUBLIÉ LE 12/04/2019 À 11H00

A l’heure où le renouvellement du parc français est à l’étude, EDF a deux ans pour peaufiner son dossier d’un nouveau nucléaire en France.

Le nucléaire français est en plein paradoxe. Alors que la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, modifiée par la loi énergie de 2019, l’oblige à fermer douze à quatorze réacteurs d’ici à 2035, EDF prévoit d’ores et déjà la mise en service de nouvelles centrales. Et ce, rapidement pour répondre à la demande de la filière qui veut maintenir ses compétences en matière de construction de centrales et qui a besoin de montrer sur les marchés internationaux que la France reste un grand pays du nucléaire. Le gouvernement est, lui, beaucoup moins pressé. Il préfère faire de la relance du nucléaire civil en France un sujet de débat pour la  prochaine élection présidentielle et laisser au prochain exécutif la responsabilité de cette décision. Même s’il lui a balisé le terrain.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a publié, fin 2018, une étude économique sur l’évolution du mix électrique français entre 2020 et 2060 avec sept scénarios prospectifs qui montrent notamment que le développement de la filière EPR ne serait pas compétitif. Quoi qu’il en soit, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le gouvernement demande à EDF, le chef de file de la filière nucléaire depuis la restructuration d’Areva, de fournir un dossier sur le nouveau nucléaire d’ici à mi-2021. L’opérateur national doit y démontrer sa capacité à maîtriser les coûts et les délais de construction de nouveaux réacteurs EPR en France.

EDF ne part pas de zéro. Depuis 2014, il travaille avec Framatome sur l’EPR 2, un nouveau modèle de réacteur. “L’EPR 2 est un réacteur pour une utilisation française, proche de l’EPR pour en utiliser tout le retour d’expérience, mais optimisé en termes de coût et de délais de fabrication“, détaille Xavier Ursat, le directeur exécutif d’EDF, chargé de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. Le retour d’expérience provient des premiers EPR construits en Chine, à Taishan, par l’opérateur chinois CGNPC et EDF ; en Finlande, à Olkiluoto, par le consortium Areva-Siemens et l’opérateur TVO ; et en France, à Flamanville (Manche), par EDF. Quand on va construire le premier EPR 2, on ne veut pas revivre les problèmes de planning et de surcoût qu’on a vécu à Flamanville, assure Xavier Ursat. Mais on ne veut pas réinventer quelque chose qui nous ferait prendre une fois encore des risques de tête de série. On veut optimiser, tout en restant proche du design initial.” Dominique Louis, le PDG d’Assystem, qui détient 5 % du capital de Framatome, résume l’enjeu : “Avec l’EPR, on a fait un airbus A 380. Il faut maintenant en faire un A 350.

Les fournisseurs associés au projet

Pour concevoir cet EPR 2, EDF et Framatome (ex-Areva NP) ont créé un plateau commun qui rassemble l’équipe projet EPR 2 chez EDF (70 personnes), les ingénieurs de Framatome, et ceux de leur filiale commune d’ingénierie Edvance, créée en mai 2017, soit entre 500 et 600 personnes au total. Le projet avance dans le bon sens. Le basic design pour la chaudière nucléaire et le générateur de vapeur “st figé depuis la fin 2017“, précise Bernard Fontana, le PDG de Framatome. L’Autorité de sûreté nucléaire doit rendre son avis sur les options de sûreté fin avril. Reste à traiter des questions industrielles, de supply chain et d’ingénierie de détails, “pour se mettre en situation de bénéficier d’un effet de série“, explique Bernard Fontana. La priorité est donnée à l’industrialisation et à la standardisation des équipements à l’intérieur de l’EPR (vannes, tuyaux, pompes, portes…), pour garder un nombre limité de références différentes. “Dans la partie non nucléaire, nous allons utiliser davantage d’équipements éprouvés dans l’industrie“, rapporte Xavier Ursat. Un exemple : dans l’EPR de Flamanville, on trouve 1 700 modèles de portes différents, pour la plupart des exemplaires uniques. Il n’y aura plus que 200 modèles dans l’EPR 2.

EDF et Framatome n’avancent pas seuls. “L’une des caractéristiques de ce projet, c’est que l’on y associe les fournisseurs très tôt, notamment les génie civilistes, dans un consortium composé de Bouygues, Vinci et Eiffage pour avoir leur avis sur la constructibilité des différentes options étudiées”, observe Xavier Ursat. L’un des objectifs est de préfabriquer un maximum d’équipements. “Toutes les tuyauteries vont être conçues en pouces, comme le pratique toute l’industrie dans le monde, notamment pétrolière. L’EPR, lui, était dimensionné en millimètre. Une spécificité qui a nécessité d’adapter la chaîne industrielle, ce qui a eu un coût “, reconnaît Xavier Ursat. EDF va aussi lancer une consultation pour la salle des machines. L’EPR 2 sera également le premier réacteur conçu depuis le début dans une approche entièrement numérique, soutenu par un logiciel PLM de Dassault Systèmes, préféré en 2018, à la solution de Siemens choisie par EDF en 2013. La migration est en cours.

Industrialiser l’EPR 2 n’est pas tout. Dans le dossier qui doit être remis mi-2021, EDF doit aussi s’engager sur les coûts. “On s’est fixé comme objectif d’avoir des EPR constructibles en France pour un coût complet de production d’électricité entre 65 et 70 euros le Mwh, pour qu’il soit moins cher que n’importe quel moyen fossile adossé à un prix du carbone que l’on pourrait développer à la même période“, explique Xavier  Ursat. Le dossier devra aussi définir précisément les besoins de la France en matière de nucléaire pour les soixante à quatre-vingts ans à venir, sachant que les EPR sont prévus pour fonctionner soixante ans. Il faut également tabler sur “une durée de construction de l’ordre de six ans pour une tranche, entre le moment où l’on attaque le génie civil de sûreté (le socle du bâtiment nucléaire) et la mise en service commerciale“, avertit le directeur exécutif d’EDF.

Maintien des compétences

Pour répondre à quels besoins en électricité   Combien de nouveaux EPR 2 faudra-t-il construire   À ce stade, pas de réponse, mais les coûts avancés par EDF “s’envisagent pour une série d’au moins six réacteurs, comme la Cour des comptes l’indique dans son rapport “, prévient Xavier Ursat. Un nombre qui semble faire consensus. “Deux c’est mieux qu’un, et six c’est mieux que deux“, lance Bernard Fontana, prudent. L’enjeu est industriel, mais il concerne aussi le maintien de compétences perdues et chèrement reconquises à Flamanville, notamment. “Les seuls qui construisent des réacteurs sans problème, ce sont les Chinois, observe Dominique Louis. On a perdu la main.” L’enjeu de l’EPR 2 est aussi de prouver le contraire.

De Tchernobyl à Flamanville

  • 1986 : Accident de Tchernobyl Le design des nouveaux réacteurs nucléaires doit empêcher une telle catastrophe.
  • 1989 : Framatome et Siemens-KWU s’associent au sein de Nuclear Power International (NPI).
  • 1993: Lancement du projet EPR, le réacteur pressurisé européen, qui intégrera les points forts du réacteur N4 français et du Konvoi allemand.
  • 1998: l’Allemagne décide de sortir du nucléaire au début de la coalition entre le parti social-démocrate et les Verts.
  • 1999: Framatome et Siemens Fusionnent leurs activités nucléaires. Le projet EPR est intégré à Framatome ANP (Advance Nuclear Power).
  • 2003: Commande du premier EPR par le finlandais TVO.
  • 2005 : Lancement du chantier de l’EPR d’Olkiluoto 3 en Finlande.
  • 2007 : La construction de l’EPR de Flamanville débute. Areva et le chinois CGN signent pour deux EPR à Taishan en Chine.
  • 2009 : Début des négociations d’un projet de six EPR en Inde, à Jaitapur, par EDF (accord préliminaire signé en mars 2018).
  • 2014: Le projet EPR 2 est lancé.
  • 2016: Signature d’Hinkley point C, au Royaume-Uni, par le gouvernement anglais, EDF Energy et CGN pour deux EPR et une mise en service en 2025.
  • 2017: Création d’Edvance, une coentreprise ingénierie d’EDF et de Framatome, pour travailler sur l’îlot nucléaire et le contrôle commande des EPR de demain.
  • 2018: L’EPR de Taishan 1 produit de l’électricité (29 juin). Premier béton du radier d’Hinkley Point C (11 décembre).
  • 2021: Le dossier nouveau nucléaire en France doit être remis au gouvernement.

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