Telegramme-24-01-2016

Source : Le Télégramme
http://www.letelegramme.fr/monde/nucleaire-l-exemple-allemand-24-01-2016-10931414.php

Déchets nucléaires. L’exemple allemand

24 janvier 2016 à 06h50 / De notre correspondant en Allemagne David Philippot /

Telegramme-24-01-2016-a Telegramme-24-01-2016-b

Alors qu’en France, le projet contesté de Bure (Meuse) prévoit d’enfouir 80.000 m² de résidus radioactifs à 500 mètres de profondeur, l’Allemagne, qui avait décidé de stocker ses déchets nucléaires dans des mines de sel, doit faire machine arrière sous la pression populaire. Notre reporter s’est rendu à Asse (Basse-Saxe), où les fûts doivent être remontés à la surface pour traitement. Une opération complexe à l’issue incertaine.
Comme pour n’importe quelle mine, on entre en passant sous un portique d’acier ; une poulie verte surplombe le puits. La spécificité de Asse II se trouve au fond. Son sous-sol abrite l’une des poubelles allemandes pour déchets « faiblement ou moyennement » radioactifs. De 1964 à 1978, 126.000 fûts de restes atomiques d’activités industrielles, militaires ou médicales y ont été stockés à la va-comme-je-te-pousse. Des images de l’époque montrent des tractopelles charrier les fûts jaunes dans des fosses. Des déchets irradiés issus de l’enrichissement d’uranium gisent dans 13 cavités situées entre 510 et 750 mètres de fond. On estime que 28 kilos de plutonium pourrissent dans ce sous-sol, mais personne n’en est bien sûr.

Une mine en forme de fromage suisse
À l’époque, les experts gouvernementaux avaient assuré que cet enfouissement réglait le problème. Mais la nature en a voulu autrement : les mouvements géologiques ont provoqué des écoulements d’eaux susceptibles de contaminer les nappes phréatiques. Et dès 2009, le gouvernement allemand a choisi d’extraire ces poubelles, une opération d’une folle complexité : « C’est difficile, explique Ingo Bautz, chargé de l’information sur le site. D’abord car nous sommes les premiers au monde à le faire. Les défis – techniques et de sécurité – sont multiples et colossaux », soupire-t-il en indiquant la voie menant vers le fond. Un ascenseur en métal grillagé vous aspire dans un grand courant d’air à 450 mètres de profondeur en 1 minute 30. Il faudra en construire un autre pour hisser un jour les fûts à la surface. Les 350 hommes qui travaillent, par tranches de sept heures, en sont encore à la phase de stabilisation et d’exploration. « Il faut étayer cette mine de sel et de potasse exploitée depuis plus de cent ans et qui ressemble à un fromage suisse », poursuit Ingo Bautz.

« Une étincelle pourrait provoquer une catastrophe »
Dans cette fourmillère, les hommes se déplacent avec des camionnettes (démontées à la surface et remontées en bas) qui projettent des nuages de poussière dans la lumière des néons. En ce jour de neige, l’écart de température de 45°C avec la surface assèche les mains et l’air sent le sel. En combinaison blanche, les ouvriers volontaires forent délicatement le sol, dans des espaces confinés pour prévenir la fuite de particules radioactives. Personne ne connaît la réaction chimique des gaz dangereux mélangés pendant des décennies, et une étincelle pourrait provoquer une catastrophe. Aux changements de poste, les ouvriers qui font les 2/7 se souhaitent « Glück Auf » ! (« Bonne chance »). La société à responsabilité limitée Asse travaillant en contrat pour le bureau fédéral de protection des radiations (BS) porte en fait une responsabilité illimitée. Cette « sale mission » doit coûter six milliards d’euros. Casque de protection sur la tête, Ina Stelljes du BS souligne : « Tout peut s’arrêter du jour au lendemain, si l’eau se met à envahir les galeries. Nous serions alors obligés d’en arriver au plan B, c’est-à-dire enfouir la mine sous les gravats ». Si l’opération se passe comme prévu, les premiers fûts devraient sortir du sol en 2033. Mais personne n’en est certain.